Les raisons du principe de "non-socialisation" dans la Co-écoute
— Harvey Jackins
Il est requis et attendu des Co-écoutant-e-s qu’ils ou elles s'abstiennent d'établir des relations sociales en dehors de la Co-écoute avec une personne rencontrée dans le contexte de la Co-écoute ou dans la Communauté de Co-écoute. Cela est justifié par le fait que la relation de Co-écoute, ou la participation conjointe à des activités de Co-écoute, est si précieuse et si importante qu'il est primordial de la conserver "intacte" pour qu'elle fonctionne bien. En tant que Co-écoutant-e, on a l’espoir et on attend d’être aidé-e pour réémerger de toute sa détresse et recouvrer ainsi sa splendide nature et ses capacités innées, et on entreprend d'aider les autres à faire de même.
Ceci ne veut pas dire que des Co-écoutant-e-s ne vont pas s'apprécier ou s'aimer. (Cela se produit inévitablement.) Ceci veut dire que cet engagement de grande valeur ne doit pas être dilué ni contaminé par la fréquentation de la personne dans une autre forme de relation, dont l’objet entrera inévitablement en conflit avec l’engagement fondamental vis-à-vis de la Co-écoute, et qui comportera ou acquerra tôt ou tard une certaine composante visant à satisfaire un besoin empreint d’automatisme ou "besoin gelé".
Parce que les gens démarrent souvent la Co-écoute dans un relatif état d’isolement et de solitude, qu’ils ont une grande soif d’affection, et qu’en raison de cela ils se sont sentis incompétents pour établir des relations sociales, la présence d’un-e Co-écoutant-e leur démontrant intérêt et valorisation revêt souvent un énorme attrait et apparaît comme une invitation. Il est facile pour la personne écoutée de projeter sur l’écoutant-e la satisfaction longtemps espérée de tous ses rêves de camaraderie, de romance, d’amour, de partenariat commercial, de mariage, et de toute autre forme de relation intime.
Il est très facile pour les gens aux prises avec de tels "besoins" ou "désirs" gelés de se fourvoyer. Ce phénomène se produit en dehors de la Co-écoute ("quand votre cœur est en feu, la fumée vous aveugle"), mais les gens ont tendance à être sur leurs gardes dans les situations sociales habituelles, lorsque le réel attrait des relations de Co-écoute n’est pas là pour leur fausser les idées.
Les personnes qui ne prennent pas au sérieux les règles et les avertissements du Guide des Communautés dans ce domaine s’exposent à des difficultés pour elles-mêmes, pour les personnes impliquées dans la relation, et pour les personnes qui leur sont associées au sein de la Communauté de Co-écoute. La situation est suffisamment difficile et perturbante quand un-e seul-e Co-écoutant-e se fourvoie dans de tels sentiments et dramatisations, mais si deux personnes projettent de tels automatismes l’une sur l’autre, alors la confusion s’amplifie. Il y a des chances qu’elles insistent sur l’idée que "c’est leur affaire". Elles diront aux autres et aux personnes dirigeantes de la Communauté que tant qu’elles sont des "adultes consentants", "ça ne doit pas poser de problème". Toutefois, si elles ne s’abstiennent pas d’avoir ces relations sociales, elles en viendront presque certainement à "accuser" la Co-écoute "d’avoir provoqué le désastre (inévitable). "
C’est pour cela que la Communauté émet comme règle que les Co-écoutant-e-s ne "socialisent" pas. Lorsqu’on avance et que l’on réémerge, on en arrive à la considérer comme un principe nécessaire, même si le fait de s’y conformer résulte pour le moment d’un consentement averti plutôt qu’une obligation imposée par la Communauté.
(Parmi les millions de gens ayant pratiqué la Co-écoute à ce jour, il y en a un certain nombre qui n’ont pu résister à leur "sentiments" et qui ont établi des relations sociales, des partenariats commerciaux, des relations amoureuses, sentimentales, ou conjugales avec des Co-écoutant-e-s. Disons simplement qu’aucune de ces relations n’a jamais marché quel que soit l’enthousiasme avec lequel les automatismes de ces personnes les ont amorcées, et quels que soient les efforts déployés pour essayer de les rendre viables. Inévitablement, les partenaires en sont arrivés à se sentir trahis l’un-e par l’autre parce qu’ils étaient devenus complices de leurs automatismes respectifs et avaient abandonné l’engagement significatif de départ à s’aider mutuellement à réémerger et recouvrer leur entière humanité.)
Ces sentiments qui surgissent (d’être tant attiré-e par son ou sa Co-écoutant-e) sont en fait générés par l’intelligence fondamentale de la personne en tant qu’occasions de décharger, et si l’écoutant-e de la personne les traite comme tels, des avancées considérables peuvent être obtenues très rapidement dans des domaines majeurs. Il est tout à fait normal de demander aux personnes dirigeantes de la Communauté d’aider à ce qu’une telle décharge s’amorce.
Une suggestion : si la personne qui ressent une attirance s’assoit à deux mètres de la personne concernée et qu’elle exprime de façon vigoureuse et répétitive le moindre élément inspirant l’attraction envers la personne qui l’écoute, d’une voix dégoulinante d’émotion et de désir, alors la décharge aura tendance à se produire très rapidement. Si l’attraction est mutuelle, les personnes concernées auront à cœur de s’encourager à tour de rôle pour atteindre des sommets de sentimentalité exagérée. Deux heures de décharge par le rire dans chaque sens ont des chances de transformer le couple torturé en deux Co- écoutant-e-s décontracté-e-s, énormément soulagé-e-s de retrouver une atmosphère assainie des besoins gelés et de la mièvrerie qui avaient menacé leur précieuse relation.
Des personnes désorientées se sont parfois plaintes en disant qu’une relation de Co-écoute n’est pas "réelle" parce qu’elles n’étaient pas encouragées à la polluer en y ajoutant des activités basées sur l’automatisme et des sentiments forts. La vérité est que la relation de Co-écoute est très "réelle". Elle est utile et riche parce qu’elle est fermement et clairement définie. Quelqu’un a dit qu’elle a la beauté d’un poème ou d’une chanson qui emploierait une forme poétique rigoureuse pour parvenir à des sommets de complexité et de communication.
La Communauté de Co-écoute et ses formateurs-formatrices font de gros efforts pour avertir les gens de l’importance de la règle et du principe de non-socialisation (souvent appelés dans notre jargon "pages bleues" à cause de la couleur des pages sur lesquelles ils étaient à l’origine imprimés dans le Manuel de Base de la Co-écoute). Les gens sont avertis et instruits de ne pas imposer de socialisation aux autres Co- écoutant-e-s qu’ils rencontrent dans des classes ou des réunions de Co-écoute. Ils ne sont ni contrôlés ni espionnés (c’est leur "peau" et leur bonheur qui est en jeu). Mais les gens ne sont pas autorisés à assumer une responsabilité de formation dans la Communauté de Réévaluation par la Co-écoute s’ils persistent dans la violation de ce principe qui fait partie des obligations pour en être membre. Soyez avertis.
Le fait de maintenir "intactes" (c’est-à-dire rationnelles) vos relations au sein de la Communauté de Réévaluation par la Co-écoute vous amènera à décharger tous les automatismes qui ont pu aussi bien provoquer des difficultés dans des relations sociales.
Les gens cherchent naturellement, intuitivement et intrinsèquement à établir d’excellentes relations avec les autres êtres humains. Partout où des difficultés surgissent, se sont nécessairement introduits des automatismes, parfois associés à une piètre communication. Si l’automatisme est lié à l’autre personne impliquée dans la relation, il devient intéressant d’essayer de comprendre cela et d’aider la personne à le décharger. Si l’automatisme est plus persistent que cela, cela implique que toi-même, la première personne dans la relation, est affecté-e d’un automatisme qui s’insinue de ton côté dans la relation et contribue également à la difficulté. Affronte cette éventualité dans ta séance en tant que personne écoutée et la difficulté sera résolue, souvent avec une facilité déconcertante.
Paru dans Present Time N°97 (Octobre 1994)
Traduit par Régis Courtin