Revenir d’exil
D’après une présentation faite par Tim Jackins à l’atelier des Dirigeant·e·s d’Asie et des Îles du Pacifique, sur Zoom, en Août 2020
Nous vivons des moments très intéressants. Les irrationnalités de nos sociétés sont sur le point de détruire les sociétés. Et les politiques destructrices sont menées par des gens qui sont gouvernés par leurs restimulations.
Il est très compréhensible que les gens soient blessés et agissent sur la base de leurs détresses. Nous le faisons tou·te·s. Ça n’a pas beaucoup de sens de blâmer les gens pour les choses qui les ont été blessés. Notre objectif doit être d’éliminer les blessures dans chaque esprit humain. Nous avons tou·te·s la chance de participer à ça.
Cela veut bien dire de défier nos propres détresses. Par exemple, il y a beaucoup de gens à qui je préfèrerais ne pas parler. J’ai le sentiment que “c’est de leur faute”, mais en réalité je suis restimulé par eux. Je ne pense pas toujours à eux de façon bienveillante. Je ne décide pas toujours qu’ils valent la peine que je leur tende la main. C’est se débarrasser de quelqu’un parce qu’il a été blessé. Je dois prendre de meilleures décisions que ça, des décisions plus rationnelles ; et je dois travailler sur les choses qui me dérangent.
Si vous êtes ici [dans cet atelier], vous réalisez probablement que notre projet est à très long terme. (rires) Mais chaque étape franchie est aussi bénéfique pour vous que pour les autres. Tout ce que nous savons, nous voulons le partager avec tout le monde. Je pense qu’il est dans notre intérêt d’avancer dans cette direction.
Nos sociétés ont tenté de nous maintenir dans l’idée que nous sommes insignifiant·e·s. Ça a peut-être commencé avec le comportement de nos parents envers nous quand nous étions enfants. On attendait de nous que nous fussions sages. Nous avons reçu les messages disant que nous n’en savions pas assez, qu’aucune de nos idées n’était valable. Si nous ne comprenions pas les choses rapidement, ils s’énervaient. Chacun·e de nous a vécu ça pendant des années. Ces détresses nous affectent encore.
Les sociétés oppressives existent jusqu’à ce qu’on s’y oppose. Elles manipulent le matériau qui a été installé en nous dans notre enfance. Cela nous maintient dans l’idée que nous sommes minuscules, isolés et que nous n’en savons pas assez pour changer les choses.
Mais nous avons un esprit humain. La caractéristique de l’esprit humain que nous considérons comme la plus précieuse, c’est qu’il peut trouver des idées neuves et des solutions. Nous pouvons tou·te·s faire ça. Nous avons tou·te·s fait ça. Toutefois, trop souvent nous restons dans l’isolement, l’insignifiance, et gardons le silence sur nos idées. Les détresses qui nous font faire ça sont coûteuses, et particulièrement coûteuses en ces temps d’effondrement sociétal.
NOUS POUVONS MONTRER UNE VERSION PLUS COMPLÈTE DE NOUS-MÊMES
Faisons une mini-séance sur combien il est difficile de contrer le conditionnement à ne pas montrer totalement notre esprit et nos idées, et sur ce qui a fait que c’est comme ça.
(Mini-séance)
Nous avons été blessé·e·s de bien des façons, et nous avons dû dissimuler beaucoup des situations où nous avons été blessé·e·s. En tant qu’enfants, nous avons dû en grande partie cacher qui nous étions. Nous avons caché une grande part de notre intelligence. Pourquoi ? Parce que personne ne pouvait répondre intelligemment, alors nous avons abandonné. Ensuite, nous avons dû cacher en grande partie les choses qui nous ont blessé·e·s. Les gens étaient restimulés quand nous les exposions, et ils ajoutaient à la blessure au lieu de nous aider.
Dans la Co-écoute, nous avons lentement appris à montrer à nos Co-écoutant·e·s une partie des choses qui nous ont blessé·e·s. Il s’agit souvent d’une version édulcorée. Nous essayons de ne pas en perdre le contrôle. Nous avons dû apprendre à les contrôler quand nous étions enfants. Nous sentons du danger quand nous ressentons et montrons à quel point les choses étaient dures pour nous. Aucun·e d’entre nous ne veut montrer à quel point nous nous sentons parfois désespéré·e·s et blessé·e·s. Nous nous sentons toujours vulnérables par rapport à ces choses-là. Pourquoi ? Parce que nous n’avons jamais eu l’occasion de décharger assez.
Chacun·e d’entre nous semble avoir trois modèles distincts de soi-même :
- Un modèle publique (nous contrôlons à quel point nous nous montrons nous-mêmes)
- Un modèle Co-écoute (nous en lâchons et en montrons un peu plus)
- Un modèle intérieur (la manière dont les choses se passent réellement dans notre esprit)
Il y a des différences importantes entre ces modèles. Idéalement, à mesure que nous déchargeons, ils se fondront les uns dans les autres. Nous pourrons alors devenir qui nous sommes.
Notre tache actuelle est de montrer à nos Co-écoutant·e·s une version plus complète de nous-mêmes. Cela signifie prendre des risques — des risques que nos Co-écoutant·e·s seront encore capables de penser à nous même après que nous leur ayons raconté ce que nous avons caché pendant des décennies. (Je suspecte que vous avez une longue liste de choses comme ça dans laquelle puiser.) Nous voulons nous connaître pleinement les un·e·s les autres, et nous ne pouvons pas attendre jusqu’à ce que nous soyons libéré·e·s de nos détresses pour que ça arrive. Nous avons besoin de connaître les choses qui provoquent la confusion en chacun·e de nous.
Il n’y a aucune raison de dénigrer quiconque parce que cette personne a été blessée et qu’elle n’a pas encore disposé des ressources pour décharger et guérir. Cela ne change ni la valeur intrinsèque ni l’intelligence de quiconque.
Une de nos taches en tant que dirigeant·e·s, c’est d’être les premier·e·s à franchir les étapes que nous voulons que chaque membre de la Communauté franchisse. Ce serait bien de faire ça de notre propre initiative, de ne pas attendre que les circonstances nous restimulent assez pour que nous soyons obligé·e·s de le faire.
Alors aujourd’hui, dans un petit morceau de séance ou de groupe, essayez de raconter à quelqu’un une petite chose que vous n’avez pas déjà dite sur vous-même ou votre vie. C’est juste un début. Nous avons besoin de briser l’isolement qui nous a été imposé. Nous avons beaucoup à décharger, en plus d’affronter l’effet de la détresse dans le présent.
Pensez-vous qu’il y ait quelque chose de votre vie que je ne comprendrais pas ? Par exemple, si moi je connaissais cette chose-là, pensez-vous que j’aurais une moins bonne opinion de vous ? Nous savons bien que ce n’est pas le cas — si on y réfléchit. Pour affronter ces tendances, nous devons y réfléchir. Je pense que nous pouvons faire ça maintenant et ne pas attendre.
NOUS POUVONS CHOISIR DE RÉFLÉCHIR ET DE FAIRE DES CHOSES DIFFICILES
Nous sommes engagé·e·s dans une entreprise de très grande envergure. Notre objectif est de nous assurer que la rationalité devient partout la base des politiques mises en œuvre. Clairement, cela n’est jamais arrivé nulle part pendant très longtemps. Pour atteindre cet objectif, il faudra mobiliser beaucoup d’esprits, et nous commençons avec nos esprits.
Un autre objectif, c’est d’avoir toujours notre esprit alerte, de ne jamais le laisser se perdre dans la restimulation. Nous n’avons pas à être dans le vrai à tout moment, mais nous avons besoin d’être capables de penser tout le temps. Nul·le d’entre nous n’est susceptible d’échapper aux restimulations (peut-être cela arrivera dans quatre ou cinq générations), mais nous pouvons nous exercer à réfléchir en dépit de la restimulation. Il s’avère que l’esprit humain a toujours le choix. Plus il y a de détresse non déchargée, plus ce choix est difficile, mais il s’avère que la possibilité de penser est toujours là.
Nous ne nous souvenons pas toujours que nous avons le choix de la pensée. Je pense que ça vient en partie de l’enfance. On ne nous autorisait pas beaucoup de choix. Peu importait la qualité de notre pensée. Les adultes choisissaient selon leurs idées. Cela rend difficile de se souvenir que nous avons le choix. Mais nous pouvons choisir de penser malgré ce que nous ressentons, en dépit de la restimulation. Nous pouvons choisir de faire des choses que nous n’avons pas envie de faire. Il n’y a probablement pas de limite quant aux choix difficiles que nous pouvons faire, mais nous ressentons tou·te·s qu’il y a des limites. Nous vivons tou·te·s des moments où nous sentons “Je ne peux pas faire ça” — non pas pour une quelconque raison objective dans le présent mais simplement parce que nos détresses nous font ressentir que c’est trop. Chaque fois que quelque chose semble “trop dur à supporter”, nous devrions avoir une suspicion.
Pour que nous développions complètement ce projet, pour que nous mettions la Co-écoute entre les mains de tout le monde, nous aurons probablement besoin de faire des choses qui nous semblent “trop difficiles”, qui nous font sentir que “c’est trop en demander”. Il y a tant de restimulation vis-à-vis des comportements injustes avec lesquels nous avons été traité·e·s et la manière dont les gens ne pensaient pas à nous. Nous devons examiner ces choses-là de plus près. Et nous devons nous exercer à choisir de faire des choses “insupportables”.
Nous voulons que le monde soit différent, et nous aurons à faire face à de nombreux anciens enregistrements de détresse pour éviter la confusion et faire que ce changement advienne. Nous devons nous exercer. Un espace où nous pouvons nous exercer, c’est la Co-écoute, en revenant en arrière pour affronter les premiers moments et les blessures précoces qui nous ont séparé·e·s de tous les autres humains. Autant que je puisse en juger, aucun humain ne s’est laissé isoler facilement. Aucun humain ne s’est isolé jusqu’à ce que fut impossible de rester connecté. Mais être un nouveau-né parmi des adultes qui n’ont aucune attention est une situation impossible à supporter. Nous avons tou·te·s été imprégné·e·s de sentiments insupportables liés à ces moments-là. Ces sentiments peuvent évoluer, et notre compréhension de ce qui s’est passé peut changer à mesure que nous déchargeons les blessures précoces. Mais nous devons décider d’entreprendre cette lutte, de revenir en arrière et d’examiner à quel point c’était pénible et de commencer à décharger.
NOUS POUVONS REVENIR
Je souhaite que tou·te·s nous revenions. Nous sommes tou·te·s des personnes charmantes, intelligentes et merveilleuses. Mais je sais qu’il y a tant de chacun·e de nous qu’aucun·e des autres parmi nous ne connaît. C’est comme si nous avions tou·te·s été expédié·e·s en exil, et que personne ne l’avait remarqué. Personne n’a remarqué que nous étions parti·e·s. Nous l’avons enfin remarqué. Et il est temps de nous faire revenir d’exil afin que nous puissions voir ce que peuvent vraiment être les humains.
Nous avons erré et nous avons fait du mieux que nous pouvions, mais jamais dans un effort commun. C’est peut-être la première occasion que nous ayons. Avec un peu de chance, c’est la seule dont nous ayons besoin. Chacun·e de nous doit décider par soi-même qu’il/elle veut revenir, qu’il est possible de revenir, que ça vaut le coup à tout prix, au prix de n’importe quelle lutte, de revenir. Je pense que c’est le cas.
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