Une opportunité sans précédent
D'après une présentation faite aux Co-écoutant·e·s sur Zoom par Barbara Love (Personne de Référence Internationale pour la Libération des Personnes d'Origine Africaine) et Tim Jackins (Personne de Référence Internationale pour les Communautés de Réévaluation par la Co-écoute), le 7 Juin 2020
Tim Jackins : Bienvenue à tou·te·s. Merci d'avoir fait l'effort de venir dans un si court délai. Je suis très content que vous soyez là. Nous sommes ici pour participer à une lutte de grande envergure et changer le monde pour qu'il ne soit plus basé sur la maltraitance et l'exploitation des gens. Nos sociétés fonctionnent de pire en pire pour la grande majorité des habitants du monde. Et les conditions actuelles rendent les choses suffisamment évidentes que la possibilité d'un changement semble être à notre portée. À toi Barbara.
Barbara Love : Merci. Je suis tellement stimulée par ce rassemblement. Il y a plus de huit cents participant·e·s ! Nous sommes ici parce que nous nous sentons concerné·e·s et parce que nous sommes engagé·e·s et déterminé·e·s à faire advenir un nouveau monde.
Ce qui est nouveau aujourd'hui, en ce moment historique, c'est que le monde entier semble être partie prenante. C'est nouveau et stimulant et cela ouvre de puissantes possibilités de changement dans le monde. C'est le moment que nous attendions.
Le monde est en feu et un climatosceptique est en situation de pouvoir dans un des pays les plus puissants du monde. Une pandémie mortelle s'abat sur le monde et des centaines de milliers de gens meurent. Pendant ce temps-là, le principal souci d'une poignée de gens est de remettre l'économie en marche. Extraordinaire ! Simplement extraordinaire.
Ce qui nous a incité à vous réunir aujourd'hui c'est que le racisme — le racisme individuel, systémique, institutionnel — se manifeste de façon aveuglante dans sa forme la plus crue et la plus nette. Il est probablement constaté et compris par davantage de gens qu'à n'importe quel moment de l'histoire. Davantage de gens peuvent le voir, le comprendre et le reconnaître comme étant répréhensible et mauvais et dans l'obligation de changer. C'est nouveau. C'est différent. Cela ne signifie pas que le racisme est nouveau et qu'il ne s'est pas manifesté de cette façon dans le passé. Mais qu'il soit vu et reconnu de manière si universelle — c'est nouveau. Ça c'est puissant. Ça c'est différent.
Trois choses se produisent en coïncidence — COVID-19, le changement climatique et ce coup de projecteur sur le racisme. Cela crée un instant sans précédent dans l'histoire. Je l'appelle l'Instant du Millénaire. Nous allons saisir cet instant pour provoquer les changements dont nous avons rêvé, pour créer un nouveau monde qui soit caractérisé par la loyauté, la justice et l'équité. Nous allons saisir ce moment pour inaugurer ce monde nouveau.
Je qualifie aussi ce moment d'existentiel. Nous faisons littéralement face à une menace pour notre existence — la crise climatique. Le danger est réel et il est évident pour presque tout le monde. Nous savons ce qu'il faut faire. En même temps, il y aura des gens qui vont rester silencieux, qui vont nier, qui vont faire échouer, perturber, éviter et prétendre. Il y a des gens qui pourraient faire une grande différence — et que font-ils ? Ils nous font sortir d'un accord qui pourrait amoindrir cette menace pour notre existence. Ils refusent de fournir les fonds aux nations qui en ont besoin pour réaliser les changements nécessaires pour conjurer la crise climatique. Ils abolissent les règlements et les politiques qui pourraient faire une différence. Nous voyons la nature de la lutte. Le voile de l'ignorance a été déchiré. Les choses ne seront plus jamais les mêmes. Cette réalité nous permet de réaliser les changements nécessaires.
COVID-19 a bouleversé le monde. D'une façon probablement plus éclatante que la crise climatique, la pandémie nous a montré les fractures et les crevasses, les disparités, les inégalités et les disproportionnalités au sein de nos sociétés. Les personnes travailleuses en première ligne qui portent le plus lourd fardeau sont de façon disproportionnée des personnes de couleur. Nous faisons sonner nos casseroles et nos poêles, nous les héroïsons, mais nous n'avons pas été capables d'augmenter leur salaire, de leur fournir un équipement protecteur individuel, de les laisser prendre un congé maladie ou prolonger leurs vacances. Les taux de contamination au COVID-19, les taux d'hospitalisation et les taux de mortalité montrent les disproportionnalités qui ont toujours existé, mais cela nous avons été capables de l'ignorer et de le passer sous silence. Nous avons été capables de prétendre qu'elles n'existaient pas. Ça a changé. Nous ne pouvons plus ignorer ces disproportionnalités.
La mort de George Floyd — et je rajoute à chaque fois celle des deux Amérindiens assassinés par Chauvin avant qu'il ne tue Floyd — sans qu'aucun compte ne soit rendu et aucune conséquence ne soit subie ; la mort de Breonna Taylor et de centaines d'autres — ces morts ne sont pas inhabituelles. Elles ne sont pas nouvelles. Ce qui est différent, c'est que davantage de gens les connaissent. Davantage de gens ont l'information. Mon cousin a été tué par une prise d'étranglement de la police il y a seulement quelques années, en criant ces mêmes mots « Je ne peux pas respirer ». Il n'y a pas eu de manifestation parce que c'était une chose quotidienne. Mais ce petit appareil [elle montre un smartphone] a fait toute la différence. L'information sur ce qui se passe ne peut plus être dissimulée. Elle ne peut plus être contestée. Et elle peut être partagée mondialement. Les gens sont dans la rue dans le monde entier. C'est différent.
Il y a deux ans, j'ai publié une “liste d'appel” sur le forum des membres de la Communauté de Co-écoute. C'était une liste d'appel des personnes noires qui avaient été tuées en garde-à-vue par la police sans qu'aucun compte ne soit rendu. Quelqu'un a répondu à cette liste en disant : « Oh, ces personnes-là ont dû commettre quelque chose de grave pour que la police les tue. La police ne les aurait jamais tuées si elles n’avaient pas commis quelque chose de grave. » Je ne pense pas qu’on verrait ce genre de remarque aujourd’hui. Je ne pense pas que quiconque pourrait se tromper à ce point. Le voile recouvrant le racisme a été enlevé. Le racisme est exposé d’une manière qui ne peut être contestée, à la fois aux États-Unis et globalement.
Je propose que vous fassiez les choses suivantes :
- Déchargez ! Déchargez le désespoir. Déchargez le découragement — le découragement est toujours quelque chose de précoce. Déchargez le désarroi. Déchargez l'impuissance.
- Rappelez-vous la vérité nous concernant. Rappelez-vous notre amour, notre bienveillance, notre intelligence, notre connexion, notre puissance. La vérité sera cruciale pour nous dans les jours à venir.
• Faites valoir votre vision d'un monde qui fonctionne pour tout le monde. Élevez la voix, partagez vos idées. Décrivez en détail le monde que vous voulez. Ne le faites pas parce que vous êtes un·e allié·e. Faites-le parce que vous voulez un monde caractérisé par l’équité, la loyauté et la justice. Faites-le pour vous.
• Rassemblez les gens autour de vous — au travail, dans votre famille, dans votre banlieue, dans votre quartier huppé. Rassemblez votre communauté de gens pour vous soutenir vous et votre vision — parce que le moment est venu où nous pouvons faire ça ; nous pouvons le faire ensemble.
La théorie et la pratique de la Co-écoute nous donnent un point de vue avantageux — un point de vue libre des distorsions causées par une société oppressive ; par le racisme, le génocide, l'antisémitisme, le sexisme et la domination masculine, le classisme et l'âgisme, l'oppression des jeunes personnes, ainsi de suite. Utilisez ce point de vue pour orienter vos efforts et créer ce monde nouveau pour remplacer la société en effondrement, un monde qui fonctionne bien pour tout le monde.
Tim : Je voudrais ajouter une petite étape. Beaucoup d'entre nous ont besoin de sortir un peu plus dans le monde. Nos détresses nous ont empêché·e·s de découvrir ce qui se passe réellement. Nos peurs (par exemple vis-à-vis du COVID-19) peuvent nous faire faire rester en arrière et la plupart du temps “écouter parler“ de la réalité. Mais je crois que nous devons découvrir par nous-mêmes ce qui se passe vraiment. Nous devons faire attention et ne pas prendre de risques inutiles, mais nous pouvons nous mettre au défi dans les domaines où nos peurs nous ont trop effrayé·e·s pour que nous découvrions la réalité. Faites des séances, et ensuite franchissez quelques étapes au-delà de celles que vous avez déjà franchies.
Barbara : Tim a mentionné que nous sommes peut-être effrayés. Bien sûr, nous le sommes. Mais c'est quelque chose à décharger. Remarquez tous vos sentiments. Ne jugez aucun d'eux. Ressentez-les, ressentez-les et laissez-les de côté. Pour les personnes de la Majorité Globale (et en fait pour nous tou·te·s), votre rage est légitime. Vous y avez droit. Ressentez-la, déchargez-la. Mais ne soyez pas séduit·e·s par l’idée que cette rage vous donnera de l’énergie et vous aidera à passer à l’action. C’est faux. Si vous ne la déchargez pas, elle peut vous “dévorer”. Elle doit être déchargée.
Votre joie de vivre naturelle, votre énergie, votre puissance et votre intelligence sont suffisantes. Vous-mêmes êtes suffisant·e·s. Tout ce qui murmure à votre oreille que vous n’êtes “pas la personne qu’il faut”, que “Barbara doit parler d'autres personnes, pas de moi”, est une chose à décharger. Chacun·e de vous est “la personne qu’il faut”.
Tim : Nous sommes ici pour nous soutenir les un·e·s les autres. Nous sommes ici pour nous emprunter les un·e·s aux autres des ressources pour avancer. Nous sommes ici pour changer nos perspectives en nous servant les un·e·s des autres. Nous pouvons accomplir de grandes choses, tout comme n’importe quel être humain. Nous aurons d’autres occasions. Mais comme l’a dit Barbara, c’est une occasion très particulière. Aucun·e de nous, y compris celles et ceux qui sont allé·e·s manifester il y a cinquante ans, n’a connu une opportunité aussi formidable. Ce n’est certainement pas la dernière occasion, mais pourquoi passerions-nous une quelconque occasion ?
Nous avons l'occasion d'être vivant·e·s, plus vivant·e·s que nous ne l’avons jamais osé. Nous avons cette opportunité de changer les choses pour que chaque personne puisse connaitre les opportunités que nous avons connues et puisse changer le monde. Dans la Co-écoute, nous avons des gens (qui sait combien) qui regardent tous dans la même direction, qui savent tous comment commencer à penser à tout ça et comment améliorer leur pensée à mesure qu’ils avancent. Je pense que nous avons toutes les conditions nécessaires. Nous avons du travail devant nous, et nous pouvons le faire avec bonheur, et le faire ensemble.
Pour terminer, Barbara et moi allons rouvrir tous les micros pour que vous puissiez admirer et entendre toutes ces centaines de personnes dire au-revoir de la main et de la voix. Allez-y !
Traduit de l'anglais par Régis Courtin