Toucher l'esprit de nombreuses personnes
Tim Jackins, à l'atelier "Transformer la société"
de Warwick, New York, USA, en Janvier 2020
Nous entrons dans une période de combats qu'aucun-e de nous n'a jamais connus. Je pense qu'il serait utile que nous ayons un objectif. Un objectif ultime serait qu'un grand nombre de personnes aient une idée de ce que c'est qu'être rationnel, être pleinement humain. Cela impliquerait d'utiliser plus amplement la Co-écoute, de toucher plus de monde et d'aider chaque esprit avec lequel nous entrons en contact à avoir un aperçu — sinon plus — d'humanité.
Nous devons orienter beaucoup de gens dans la direction de la rationalité. Nous devons les détourner de l'isolement, de l'idée que chaque personne est opposée à eux ou que personne ne les remarque, ou que leurs intérêts ne sont pas en accord avec ceux des autres. Nous devons montrer qu'il n'existe aucun conflit entre nous et eux. Qu'il existe un endroit du monde où ils peuvent être confiants que leurs intérêts sont en accord avec ceux d'une autre personne. Et nous pouvons le faire à travers de petites actions, à peine visibles, mais toujours sensibles.
Même si l'on gagne en pouvoir sociétal, ça n'est pas très efficace à moins d'entraîner beaucoup, beaucoup d'esprits avec soi. Peut-être franchira-t-on une étape importante — malgré tout, ce qui interviendra par la suite sera limité si l'on n'est pas en contact direct avec suffisamment de gens.
UTILISER LA CO-ÉCOUTE PLUS AMPLEMENT
Nous avons la Co-écoute. C'est un outil incroyablement puissant. Nous savons comment l'utiliser dans des circonstances particulières. Je crois que nous pouvons l'utiliser davantage, plus souvent, plus ouvertement et avec plus de gens. Nous nous souvenons effectivement d'utiliser un élément assez régulièrement : écouter. Nous donnons à d'autres esprit la possibilité d'utiliser cet élément du processus. Ce fut utile pour le fonctionnement de divers groupes. C'est une bonne chose, mais c'est une petite partie de ce que nous pouvons faire.
Je crois qu'il est possible de faire quelque chose chaque jour pour aider un autre esprit à se sortir un peu de la détresse et rendre un peu plus probable le fait que cet esprit puisse communiquer avec le nôtre. Chaque jour, il y a plein de choses, petites et grandes, que chacun-e de nous peut faire pour toucher un autre esprit. En faisant cela, nous pourrions construire quelque chose de significatif.
Il va falloir dix millions de petits coups de pouce pour orienter les têtes dans une direction qui leur laisse voir plus clairement la réalité. Dix millions de petits coups de pouce, dix millions de petits "bonjour" sur un ton chaleureux et accueillant pour extirper quelqu'un de sa préoccupation avec les détresses.
Nous devons nous souvenir à quel point nous étions piégés nous-mêmes dans des détresses précoces. Nous avons continué d'avancer malgré elles. Autour de nous il y a des esprits cadenassés, attendant désespérément d'être libérés, de goûter un tant soit peu la vie en dehors de leurs détresses. Toutes les personnes que nous rencontrons ont connu de profondes blessures précoces. Chaque jour, elles revivent ces moments où elles ont été blessées. Pourquoi ont-elles du mal à comprendre (par exemple) une politique claire permettant des avancées ? Ça ne leur parle pas. Ça ne leur parle pas dans le contexte de la détresse où elles sont piégées et enfermées. Ce que nous leur disons est réinterprété par leur détresse, toute la détresse dont elles n'ont jamais eu la possibilité de se sortir par la lutte. Nous devons garder ça à l'esprit.
Nous avons vraiment besoin de politiques et de stratégies audacieuses et plus encore. Mais elles doivent pénétrer les esprits individuels, et le faire à travers d'autres esprits individuels, des esprits qui peuvent penser à eux, ne serait-ce qu'un instant. Cela peut créer une possibilité. Nous savons comment faire ça — nous avons simplement besoin de plus de pratique.
"DIX-MILLE PETITES DIFFÉRENCES"
Nous devons établir le contact avec d'autres esprits avant de pouvoir espérer communiquer quelque chose d'utile. À moins de toucher l'esprit des gens, nous ne faisons que lancer aveuglément des bonnes choses qui rebondissent dans le vide.
J'ai appris énormément de choses en tant qu'enseignant dans le primaire. J'ai appris à passer auprès de chaque pupitre. Chaque pupitre. C'étaient des élèves de CE1. Presque chacune des petites filles me prenait la main et chacun des petits garçons me tapait dans la main. Ils aimaient avoir ce genre de contact ; ensuite, quand je faisais la leçon sur mon estrade face à la classe, nous avions un point de départ dont je pouvais me servir pour communiquer. La plupart de nous ne sommes pas avec des élèves de CE1. Il est beaucoup plus facile de les toucher. Beaucoup plus facile.
Je ne crois pas que des changements rationnels majeurs puissent intervenir avant que ne se produisent dix-mille petits différences au niveau humain. Avec combien de centaines de gens devons-nous être en contact pour rendre le monde meilleur ? À combien de ces gens ne prêtons-nous même pas attention habituellement ?
Peut-être pouvons-nous regarder quelqu'un suffisamment longtemps pour attirer son regard et simplement sourire légèrement du coin des lèvres. La personne le remarquera probablement. Elle remarquera tout intention humaine à son égard. Nous pourrions simplement poser la main sur son épaule. Nous pourrions lui faire un petit compliment rigolo qu'elle remarquera et auquel elle repensera plus tard. Nous pourrions lui poser des questions. Peut-être quelque chose comme : "J'ai du mal avec cette question — Qu'est-ce que vous feriez, vous ?" Peut-être nous pouvons nous pencher un instant vers quelqu'un pour lui demander (par exemple) "Je me suis toujours demandé où vous étiez né-e ?" Nous pouvons dire à des personnes qui sont en froid ou en opposition avec nous-mêmes : "Je voudrais que nous soyons alliés." Nous pouvons le dire car c'est la vérité. C'est notre objectif à long-terme, notre intention, que nous soyons en mesure ou pas de l'atteindre à l'instant même.
Toute chose qui montre que nous sommes intéressés par l'existence d'une personne fera qu'elle s'orientera un peu dans notre direction. Et elle saura peut-être un tas de choses qui nous seraient utiles.
Chaque jour, nous pouvons établir un contact. Chaque jour, nous pouvons commencer à bâtir une relation avec quelqu'un. Quand nous nous levons en nous sentant perdus, nous pouvons nous dire : "Comment je fais pour orienter quelqu'un de deux degrés dans ma direction aujourd'hui ? Comment je peux procéder ? Qui sera cette personne ?" C'est toujours à notre portée.
Traduit de l'anglais par Régis Courtin