N. RELATIONS ENTRE MEMBRES –
LE PRINCIPE DE NON-SOCIALISATION64
N.1. LES RELATIONS DE CO-ÉCOUTE
Nous tenons pour acquis que la relation de Co-écoute est une occasion unique pour progresser vers la totale réémergence des enregistrements de détresse.
En règle générale, les Co-écoutant-e-s n’entretiendront pas de relations sociales avec d'autres Co-écoutant-e-s, à moins qu'elles n'aient déjà été en relation avant de s'engager dans la Réévaluation par la Co-écoute. Les réunions organisées entre Co-écoutant-e-s le seront à des fins de Co-écoute, en sorte que les personnes soient réunies principalement pour décharger, réévaluer et pour participer à des activités de Co-écoute en groupe. Le partage de nourriture, les distractions et toute autre activité n'auront pour but que de soutenir l'objet principal de la réunion.
Les personnes qui souhaitent se former à la Co-écoute seront informées de l’objectif du principe de non-socialisation et on les aidera à décharger et à réfléchir à son sujet. Ledit principe sera discuté dans les classes de base. Pour pouvoir participer à une classe de Co- écoute, on demandera à ces personnes d’adhérer au principe de non-socialisation tout en travaillant à élaborer leur propre pensée. Les personnes qui ont appris la Co-écoute et qui demandent à devenir membres de la Communauté de Co-écoute seront informées de l'obliga- tion d'accepter et d'appliquer le principe de non-socialisation.
On ne recommandera pas des personnes pour accéder à la qualité de dirigeant-e ou de formateur-formatrice de Co-écoute sans qu'elles n'aient clairement exprimé leur accord avec le principe de non-socialisation. Les Co-écoutant-e-s qui n'arrivent pas encore à respecter ce principe s'excluent par là-même de tout rôle de formateur-formatrice ou de dirigeant-e de Co- écoute. Le fait qu’une personne qui persiste à enfreindre ce principe soit autorisée ou non à participer aux activités de la Co-écoute sera décidé par la Personne de Référence Régionale (PRR), en consultation avec le leadership local.
RAISON
Cette proposition vise à soutenir et à protéger le programme en un seul point de la Co- écoute (Voir la Règle A.3.). Elle n’a pas pour but de limiter notre faculté de penser les un-e-s aux autres, ni de limiter l’amour, l’attention et l’engagement que nous avons les un-e-s envers les autres. Il est naturel que les Co-écoutant-e-s s’aiment les un-e-s les autres, et s’apportent mutuellement de l’attention et de l’aide. Tous les êtres humains s’aiment de façon innée – et presque tout le monde en vient à aimer son ou sa Co-écoutant-e.
Nous voulons créer et maintenir un environnement qui soit sûr pour tout le monde (particulièrement pour les plus jeunes, les femmes, les membres des autres groupes visés par l’oppression). En outre, nous ne voulons pas que des automatismes non déchargés touchant aux relations humaines viennent empêcher le plein développement et le maintien de la sécurité et de la confiance qui sont nécessaires à l'efficacité de la relation de Co-écoute ou de la Communauté de Co-écoute. Nous voulons communiquer clairement ce principe à toute personne entrant initialement en contact avec la Co-écoute afin de lui offrir les meilleures chances possibles pour une utilisation sur le long-terme des outils et des informations de la Co-écoute.
Du fait des mauvais traitements subis par les personnes, beaucoup d'entre elles entrent dans la Co-écoute avec des "besoins gelés" énormes vis-à-vis de l'amitié, de l'amour, de la coopération, et de l'engagement envers les autres. (Nous employons le terme "besoin gelé" pour décrire le sentiment de besoin résultant de la souffrance d’avoir vu un réel besoin non satisfait dans le passé. Quand cette souffrance est restimulée, la personne la ressent souvent comme un besoin actuel.) Ces "besoins" ne peuvent pas être satisfaits, mais seulement déchargés. Des Co-écoutant-e-s apportant du soutien ont souvent tendance à apparaître comme la "réponse" à tous ces besoins du passé du simple fait de la bienveillante attention que nous apprenons à nous témoigner. Cette attirance prend souvent la forme de sentiments romantiques, de sentiments sexuels, ou du désir de "passer du temps ensemble". Un-e Co- écoutant-e peut également apparaître comme étant le collaborateur idéal, comme "la mère ou le père que je n'ai jamais eu-e", etc.
Dans d’autres situations, nos sentiments non déchargés d’urgence et d’obligation font que nous ressentons le besoin de "résoudre" les difficultés de nos Co-écoutant-e-s sous l’influence d’automatismes au lieu de les faire travailler sur leurs difficultés pour y trouver leurs propres solutions. Mais notre engagement se limite au fait de nous écouter les un-e-s les autres pour nous dégager des détresses qui interfèrent avec notre existence. C’est la seule chose requise dans la relation de Co-écoute.
Un-e Co-écoutant-e peut choisir de manière attentionnée de jouer un rôle supplémentaire si celui-ci vient en soutien du rôle d’écoutant-e. (Par exemple, si un-e Co-écoutant-e vit dans un profond chaos à cause de lourds automatismes de désorganisation, en plus de faire travailler cette personne sur les détresses en question, on peut choisir de passer une journée à l’aider à démarrer la réorganisation.) Le soutien vise à créer temporairement de meilleures conditions pour que le/la Co-écoutant-e se libère soi-même de ses détresses, et non à prendre en charge ses difficultés.
Il faut beaucoup de temps pour décharger des sentiments de solitude ainsi que la peur des autres. À cause de cela, nous serons continuellement tentés par nos automatismes d'avoir des relations sociales plus "confortables" avec des Co-écoutant-e-s (y compris en les aidant) jusqu’à ce que nous ayons suffisamment déchargé en résistant à ces impulsions.
Si nous socialisons avec des personnes qui sont déjà Co-écoutant-e-s, nous avons tendance, que nous nous en apercevions ou pas, à nous "appuyer" sur elles (et elles sur nous) au lieu de nous conduire en personnes mutuellement responsables. Si on démarre une relation supplémentaire, même si les automatismes des deux personnes font preuve du même enthousiasme, celle-ci finira par gâcher la relation de Co-écoute. Ceci constitue une perte significative, car cette relation constitue le soutien le plus important que ces deux personnes puissent s'apporter mutuellement. La relation engagée se construira sur un lit d’automatismes et ainsi sera limitée et destinée à échouer.
Lorsque deux personnes ont à la fois une relation de Co-écoute et une relation hors de la Co-écoute (par exemple, en tant que parents, amants, ou collaborateurs professionnels), chacune des relations doit être entretenue de manière responsable et distincte des autres relations par chacune des parties. C’est un principe fondamental de la Co-écoute.
Les Co-écoutant-e-s qui ressentent un besoin pressant de socialiser doivent rechercher l’avis des personnes dirigeantes les plus chevronnées. Si cette impulsion les pousse à avoir une relation secrète, alors un avis extérieur est d’autant plus nécessaire.
La longue expérience des Communautés de Co-écoute montre que l'établissement de relations sociales entre Co-écoutant-e-s nuit à la relation de Co-écoute et détourne une partie des ressources de la Communauté. Il est possible de satisfaire complètement le besoin qu'éprouve chacun-e d'entre nous de trouver dans des relations sociales un soutien atten- tionné, en ajoutant la Co-écoute aux relations que nous entretenons déjà avec nos ami-e-s et nos connaissances. Dans nos relations sociales en dehors de la Co-écoute, nous avons tendance à prendre nos responsabilités vis-à-vis de ces relations. En outre, à mesure que nous déchargeons, nous améliorons nos capacités à établir et à apprécier de bonnes relations. Nous pouvons utiliser ce talent pour partager la Co-écoute avec des personnes qui ne sont pas encore Co-écoutant-e-s.
Si une personne associe une autre personne à la Co-écoute dès le début de leur relation, elle aura fortement tendance, consciemment ou non, à attendre d'elle qu'elle se comporte comme écoutant-e dans la relation. La même confusion se manifeste entre deux personnes qui étaient auparavant Co-écoutant-e-s mais ne le sont plus.
Si un-e Co-écoutant-e persiste dans la conduite d'une relation distincte de la Co-écoute avec un-e Co-écoutant-e, et ceci après que tout effort raisonnable ait été tenté pour l’aider à adopter une position plus rationnelle, alors la Communauté n'est pas dans l'obligation de mettre ses ressources au service de cette personne.
En particulier, les Co-écoutant-e-s ne peuvent demeurer ou devenir dirigeant-e-s ou formateurs-formatrices dans la Communauté que si ils/elles sont capables d’adhérer au principe de non-socialisation et de se comporter en modèles pour ce genre de responsabilité.
Parfois, dans les réunions de Co-écoute, nous nous retrouvons pour partager un repas, des chants ou une session de "créativité". Dans ce contexte, ces activités sont sciemment destinées à favoriser la décharge et renforcer l'efficacité de la réunion.
64 Ce chapitre a force d’exigence.